SAMIA HATHROUBI: “ILS ÉTAIENT HUIT, ON EST DES MILLIONS”

ChEEK Magazine
By Myriam Levain

Deux jours après les attentats de Paris, la militante de l’interreligieux Samia Hathroubi appelle à la mobilisation de tous les Français, quelle que soit leur communauté. Interview.

Samia Hathroubi, 30 ans, professeure d’histoire de formation, a fait du dialogue entre juifs et musulmans l’un de ses principaux combats. Tous les jours, cette spécialiste de l’interreligieux intervient dans des débats et conférences à travers l’Europe sur les questions d’identité et de vivre ensemble. Elle se dit aujourd’hui “épuisée” et “en colère”, au lendemain de la série d’attentats qui a frappé Paris, car une fois de plus, “ce que je mets si longtemps à construire toute l’année explose en trois minutes”. Interview.

Tu étais où vendredi soir?

J’étais à Amsterdam pour participer à une conférence sur ethnicité et religion en Europe avec une Syrienne qui a été emprisonnée par Bachar Al-Assad, un Yéménite ayant quitté son pays bombardé par l’Arabie Saoudite et une femme politique tunisienne, qui a fait la révolution dans son pays. Je n’ai pas dormi de la nuit et les gens qui m’ont soutenue sont des personnes qui ont perdu de la famille ou été torturés. On s’est tous dit que cette question traversait nos sociétés, et que s’il devait y avoir un clash des civilisations, ce n’était pas entre pays mais au sein des civilisations, entre ceux qui prônent la paix et l’égalité et ceux qui nous vendent leur guerre.

Crains-tu une nouvelle période de stigmatisation et d’amalgames entre musulmans et terroristes?

J’en ai marre de devoir répondre à cette question. Il faudrait répéter en permanence que les musulmans sont des citoyens ordinaires, qui entendent un pétard et courent sous les tables comme les autres, comme hier lors du mouvement de foule de la place de la République à Paris. Une grande partie d’entre eux n’ont jamais mis les pieds dans une mosquée, et surtout, ils n’ont pas la parole dans les médias, on ne les entend pas. Comment expliquer que CNN, la BBC ou Al Jazeera arrivent à me contacter pour m’interviewer mais pas i-Télé?

Que faire pour arrêter l’embrigadement de jeunes Français par Daech?

Il faut déjà que l’on s’interroge sur les raisons qui ont fait de la France une cible privilégiée. Tant qu’on n’aura pas réfléchi à nos politiques internationales et à nos errements diplomatiques, on n’aura pas de réponse. On ne peut pas laisser un pays dans un chaos total pendant des années et penser que la terreur ne franchira pas les frontières et n’arrivera jamais chez nous. Ensuite, il faut se demander pourquoi il y a des gens qui répondent à l’appel de Daech parmi nos propres concitoyens et pourquoi on crée un terreau favorable à cet embrigadement en France. Chacun doit prendre ses responsabilités, refaire le bilan des dernières années et reposer la question du sentiment d’appartenance en France.

Toutes les communautés doivent se mobiliser?

Le terrorisme et la violence vont toucher tout le monde, on l’a vu vendredi 13 novembre et ça ne s’arrêtera pas. Soit on donne une réponse collective et chacun fait sa part du boulot, soit on laisse se répandre les idées du Front national, et on poursuit notre politique internationale qui n’a pas de sens. Bombarder Raqqa en représailles, ça va servir à quoi? C’est en France que les terroristes ont frappé! Plein de gens alertent sur la situation de notre pays, ils font face à une surdité que je ne comprends pas.

Bien sûr que tout le monde doit se mobiliser, je refuse de dire que c’est à la communauté musulmane de tout faire. À chacun d’entre nous d’être bienveillants à l’égard de l’autre. Trop de gens sont ignorants de l’islam, j’aimerais entendre des concitoyens dire qu’ils font aussi leur part du chemin; les musulmans font déjà beaucoup, comment faire plus? On est français comme les autres.

Y a-t-il un message que tu aimerais faire passer aujourd’hui?

S’il vous plaît, ne soyez pas atones, ne soyez pas silencieux, qui que vous soyez en France. Ce monde ne sera pas détruit par une bande de fous, mais il le sera par ceux qui ne font rien pour le contrecarrer. Ils étaient huit, on est des millions.

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